samedi 24 mai 2014

Marcourt va-t-il remplacer Demotte?

(c) Belga
Chacun ses alliances, chacun ses atouts, et chacun ses failles. Tous les deux sont candidats à la ministre-présidence du gouvernement wallon. Il y en a un qui est de trop, entre Rudy Demotte et Jean-Claude Marcourt.

Rudy Demotte n’est ni un niais, ni un idiot. Il sait ce qui l’attend si, par bonheur, le Parti socialiste a encore la main au soir des élections et si, par malheur, il fait moins bien que ses 33.344 voix de 2009 –20.616 suffrages de 2010 sur l’arrondissement, en queue de liste fédérale, c’était pas mal, mais pas assez. Sa situation de ministre-président sortant mais fragile s’apparente à celle de Jean-Claude Van Cauwenberghe en 2004. Sortant parce qu’aucun Wallon n’a si longtemps dirigé sa région depuis sa création. Mais fragile parce qu’Elio Di Rupo n’aime pas les contestataires. Tout Van Cau, jusqu’à son look, contestait Elio Di Rupo, et Rudy Demotte a un jour presque osé penser à la présidence du parti, motif d’éternelle damnation, au Boulevard de l’Empereur.

Mais le Montois rengainera son flingue si l’intérêt du parti le commande et si les urnes l’imposent. En 2004, l’électeur carolorégien avait rendu Jean-Claude Van Cauwenberghe incontournable. Le président lui avait, tout de même, offert –fallait pas contester…- un ministère fédéral (la Justice), aussitôt refusé. Qu’une alternative pareille, un de ces quatre jours lui échoie, et le fédéral serait peut-être l’objet du choix de Rudy Demotte. Qui sait? Les cinq dernières années ont été difficiles, et bon. Mais un si luxueux dilemme passe par un gros résultat personnel, le carburant par lequel les politiques se jaugent.

Venons à cette jauge pour Jean-Claude Marcourt. Il n’est lui non plus ni un idiot ni un niais. Le ci-devant cabinettard est désormais un politicien madré. Dix ans de ministère de l’Economie et le plan Marshall l’ont exposé, une élection l’a explosé. Il y avait le franglais, ou le globish, langue véhiculaire de l’économie mondiale. Jean-Claude Marcourt parle le liéglais. Il a réussi à imposer sa marque personnelle, celle d’une Wallonie business-friendly et innovative. Révélateur médiatique: le socialiste détient le record des interviews à L’Echo, quotidien managérial par excellence. Il est le candidat favori des milieux d’affaires, qui en Wallonie penchent vers Liège. Mais le socialiste n’ignore pas que les puissances d’argent ne décident pas tout.

Encore moins lors d’une élection au suffrage universel. Encore moins à Liège. Encore moins après Arcelor. Or, la notoriété de Jean-Claude Marcourt ne dépasse pas les milieux autorisés. Et sa popularité n’atteint ni le Wallon de base, ni le Liégeois de gauche- c’est parfois la même chose. Chaque sondage est pour lui un supplice. La campagne communale de 2012 fut un long calvaire. Il y força sa nature. Pour monter sur la croix: 3.300 voix, dix mille de moins que Willy Demeyer, l’électeur en soldat romain, un crayon rouge comme une lance et du vinaigre. Et les camarades en Iscariote.

Ils avaient joué le jeu, en 2009, pourtant. Tous! Daerden, Demeyer, même Mathot. Pour ne pas qu’il s’abîme trop à Liège, le PS avait offert à Marcourt la première place européenne. Il y avait rassemblé un honorable 155.000 voix, dont 38.000 dans les 24 communes de son arrondissement liégeois. Il n’en demandera pas tant cette fois. Mais il devra soutenir la comparaison. Avec 2009, un peu. Avec Rudy Demotte, surtout. Car c’est l’heure des comptes. Les deux sont aux prises depuis des années. Ils sont préparés de longue date à l’explication finale. Pas avec les mêmes atouts, mais avec les mêmes méthodes. Chacun engagé dans une triple course.

Primo, la course à la liste la plus faible. C’est nécessaire pour que se reportent sur le premier candidat le plus possible de voix de préférence. L’un comme l’autre mènent des listes anémiques. Ils ont pu les composer d’autant plus facilement que le parti n’en attend pas grand-chose: l’élection fédérale est prioritaire pour le Boulevard de l’Empereur, et rien ne devrait bouleverser les équilibres picards. Rudy Demotte a ainsi pu exporter Daniel Senesael au scrutin fédéral, et Jean-Claude Marcourt, débarrassé de Frédéric Daerden, rameuter quelques candidats d’ouverture (sept candidats viennent «de la société civile» sur les 350 que présente le PS, et quatre sont sur la liste de Marcourt). Bien gentils, qui le posent en rassembleur des forces vives, mais qui ne lui coûteront pas une voix.

Secundo, la course aux alliances. Dans le parti, Rudy Demotte tient Tournai-Ath-Mouscron. Moins qu’en 2009 néanmoins, mais toujours suffisamment, même s’il y a eu des velléités athoises de scinder sa fédération picarde. Mais il s’est aliéné Elio Di Rupo. Et il ne peut pas compter sur Paul Magnette, Hennuyer comme lui, donc concurrent. Son intérêt l’a poussé à pactiser avec Laurette Onkelinx, qui en fera ce qu’elle veut. C’est-à-dire peut-être rien.

Jean-Claude Marcourt, lui, est tenu par la Fédération liégeoise du PS, mais personne ne la tient vraiment. Les kremlinologues du Boulevard de l’Empereur le disent favori d’Anne Poutrain, patronne de l’IEV, donc d’Elio Di Rupo. A Liège, il est allié à Willy Demeyer, lui-même associé à Paul Magnette. Willy Demeyer rêve d’un ministère fédéral, rien ne lui coûte de laisser Jean-Claude Marcourt songer à l’Elysette, et peu lui coûtera également de le lâcher s’il le faut.

Surtout qu’il y a une troisième course. C’est le tertio, la course aux échappatoires. Chacun s’est ménagé un avenir sans ministre-présidence. Rudy Demotte est bourgmestre empêché de Tournai, et pourrait remonter au gouvernement fédéral. Jean-Claude Marcourt est conseiller communal, et ferait un honorable bourgmestre de Liège, une fois Demeyer parti à Bruxelles. Aucun n’a donc peur de perdre.

Et si le combat n’avait pas lieu?

Nicolas De Decker

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