mardi 20 mai 2014

Une sociologie des candidats d’ouverture, édition 2014

(c) Belga
Un catcheur polonais, des anciens footballeurs, un hockeyeur, une acquittée de parricide, un distributeur de sperme, un hermaphrodite ou à peu près, la présidente en Belgique du Parti révolutionnaire dominicain, des présentateurs de télévision et quelques-uns arrivés «par la Grâce de Dieu le Très Haut». Les partis ouvrent leurs listes, et il n’y a pas à dire, les candidats issus de la société civile rafraichissent la campagne électorale. Ils sont 61 cette année.

Le travail n’a pas été simple. Aux élections pour les parlements bruxellois, wallon, fédéral et européen, les quatre grands partis francophones mobilisent 1460 candidats, effectifs et suppléants. Parmi ceux-ci, l’immense majorité a une expérience politique. Soit qu’il exerce un mandat électif, local ou national, soit qu’il s’est présenté infructueusement à un ou l’autre scrutin, soit qu’il milite dans le parti, dans une section locale, chez les jeunes, les pensionnés, les femmes, etc. Les autres, retranchés de ceux dont on n’a pu trouver aucune autre trace que le nom – il y en a un ou deux, à la Région de Bruxelles, sur les listes MR et CDH -, peuvent alors être présumés «issus de la société civile». La présomption se tempère des limites de notre recherche, appuyée sur les ressources pas si infinies que cela de l’internet. On en a dénombré soixante et un dans les quatre partis.

Soixante et un candidats d’ouverture sur 1460, c’est 0,04%. Très peu. Mais tout à fait normal : les militants de longue date ont une légitimité interne (et même externe : on moque sans cesse l’opportunisme prétendu des «débauchés» par les partis) à laquelle ne peuvent prétendre les novices. Ils peuvent également poser le poids de paquets de voix récoltées aux élections précédentes, et un sens collectif éprouvé, sur la balance de leur candidature à la candidature. Voilà pourquoi les partis sont peu enclins à ouvrir leurs listes aux quatre vents. Il faut qu’ils soient certains de bénéfices supérieurs au coût de l’évincement d’un routinier, et/ou qu’ils aient à combler des trous dans le recrutement.

EN BELGIQUE, PASSE PAR BRUXELLES

Le cas est patent à Bruxelles, où les grands partis s’obligent à présenter 72 candidats effectifs et 16 suppléants sur la seule liste régionale. Au-delà de la trente-quarantième place, sans plus aucune visibilité, l’intérêt de concourir se limite à complaire à sa hiérarchie partisane. Celle-ci en conséquence doit parfois racoler pour recruter. Cela crée une ouverture pour les candidats à l’ouverture. Près de la moitié (26 sur 61) des candidats issus de la société civile que nous avons recensés concourront ainsi à Bruxelles, à la Région ou à la Chambre. La concentration démographique rend en outre moins nécessaire le tapissage du territoire d’une circonscription avec des élus locaux : les partis le font systématiquement en Wallonie, beaucoup moins à Bruxelles. Même s’il y a de fortes différences quantitatives entre les quatre formations.

Les deux plus petites, CDH et ECOLO, ouvrent beaucoup plus leurs listes (respectivement 26 CDH et 18 écolos) que les deux grandes (10 MR et 7 PS). C’est mécanique. Ecolo, avec ses quelque 5.000 membres, trouvera plus difficilement 365 candidats parmi les siens qu’un PS revendiquant 90.000 adhérents. Le constat vaut aussi pour le CDH (14.000 affiliés) par rapport au MR (38.000). Entre les deux petits, le CDH présente la structure la plus lâche et le cadre doctrinal le moins rigide.

Ce qui explique la différence de quantité des nouveaux venus, et une réelle différence des qualités. Car à peu d’exceptions près, ceux qui ont rejoint le CDH et qui ne se disent pas explicitement croyants, ou qui ne sont pas directement issus du vieux monde social-chrétien (écoles catholiques, scouts, mutualités, syndicat, etc.) sont, disons, ceux que l’on attendrait le moins à faire campagne : les hockeyeurs sont au CDH, les arbitres de foot également, un des deux anciens footballeurs itou, et l’ancien président de club, et le disc-jockey, et la danseuse, et le catcheur polonais, et Kompany –un transfuge de 2012, celui-là. Même si les humanistes n’ont pas le monopole de la fantaisie, ils sont donc majoritaires sur cette question.

AU PS, PASSE PAR LIEGE

Les autres sont à la fois moins ouverts et plus sobres. Et encore le PS, le plus fermé, présente quatre de ses sept candidats d’ouverture sur la seule liste régionale liégeoise: un syndicaliste de la sidérurgie, une prof d’univ, une aide ménagère, une coach pour chercheurs d’emploi. Tous, notons-le, issus de l’Action commune socialiste. Jean-Claude Marcourt s’y est fabriqué une liste sans faiseur de voix mais à prétention représentative de l’humus liégeois. Pour être certain de capter un maximum de votes préférentiels, d’une part, et d’autre part pour poser au rassembleur local, donc régional. Les deux doivent lui permettre de postuler à la ministre-présidence wallonne.

Deux autres novices non encartées proviennent de Liège : Clio Brzakala, quatrième à l’Europe, et Hinde Jarfi, 13ème à la Chambre. Ailleurs au PS, et même à Bruxelles, on a donc de quoi faire, et largement.
Ecolo, qui recrute moins que le CDH, s’ouvre à des secteurs qui lui sont traditionnellement proches : la gauche chrétienne (le syndicaliste CSC Jean-Marie Constant à l’Europe), les questions environnementales (un agriculteur bio à l’Europe, un maraîcher bio à Verviers, un brasseur presque bio à Tournai, un vendeur de poêles à bois à Namur, une physicienne à Huy-Waremme, un entrepreneur en tourisme durable, voire une praticienne des médecines alternatives à Bruxelles) et les droits de l’homme (un opposant iranien, un militant LBGT à Bruxelles). De la même manière, le MR, aligne quatre candidats indépendants dans toutes les acceptions du terme, en plus de ses trois «gros coups», Olivier Maroy, Anne Quevrin et Benoît Thans.

Il faut néanmoins relativiser la grosseur des coups, tous partis confondus. Car aussi vrai que les candidats d’ouverture sont rares, ils sont presque toujours cosmétiques. Hormis Olivier Maroy et Claude Rolin, aucun des soixante et un ne devrait siéger. Les autres? Ils tentent seulement leur chance. Même avec l’assurance d’un résultat médiocre, parce que sur un malentendu, ça peut marcher, comme disait Jean-Claude Dusse, saint patron des ouvertures.

Nicolas De Decker


Les cinq recettes pour entrer en politique

La presse populaire, disent les sociologues des médias, se caractérise par son goût pour les «4S», sexe, sang, sport et spectacle, et par une appréhension parfois litigieuse de l’origine nationale des protagonistes des événements qu’elle relate. Les partis politiques virent-ils tabloïd en sélectionnant leurs nouvelles recrues?

1. Le sexe

Attention, rien à voir avec le champion wallon de la distribution de sperme (bovin), le candidat libéral à l’Europe Benoît Cassart, non! En fait, la petite presse préfère les têtes bien faites aux têtes bien pleines et l’érotique au didactique. Ce que pensent les rédacteurs de leurs lecteurs, les politiques les pensent sans doute aussi de leurs électeurs. On se fiera à la probe curiosité des nôtres, de lecteurs, pour repérer les jolies filles et jolis garçons, car il y en a pour tous les goûts, et pour tout le monde, parmi les 61 candidats d’ouverture que nous avons repérés. Il y a aussi une ancienne miss, la fraîchement libérale mais moins récemment bruxelloise Coralie De Meyer. Il y en a pour tous les genres, même, puisque l’écologiste bruxellois Londé Ngosso, qui milite dans l’association Genres Pluriels, se présente comme intersexe, et avance une revendication sectorielle, sexuelle mais asexuée : «Tout comme on a supprimé la race et la religion sur la carte d’identité, il faut supprimer le sexe sur la carte d’identité, afin de protéger la vie privée», écrit-il sur sa page.

2. Le sang

Les faits divers passionnent. Leurs drames, leurs héroïsmes, leurs crapuleries produisent de la notoriété. Ihsane Jarfi, jeune homosexuel, a été naguère battu à mort par des voyous. Sa sœur débarque, un an et demi plus tard, sur une liste socialiste. Et résume son positionnement politique par un événement qu’elle a subi, non provoqué. «Ma famille et moi avons été touchés par un drame terrible (…), je m’engage dans la politique pour essayer, ensemble, que ça ne se reproduise pas», explique-t-elle, sans rien de plus, sur le site internet de son parti. Alison Lecocq, au CDH, a eu à subir l’infâmante suspicion de parricide, le meurtre de son père ayant mis un terme à plusieurs années de sordide maltraitance. Sa mère et elle furent heureusement acquittées par la Cour d’Assises de Mons, au printemps 2012. La jeune candidate hennuyère a depuis repris des études –et Internet connaît peu le droit à l’oubli. Dans la même formation, et toujours dans la région montoise, John Joos pendant plusieurs années incarné le combat des victimes de l’incendie de la Tour des Mésanges. Il en avait même fait la raison d’un parti politique, le sien. Le CDH a réorienté la cause. Comme celle, plus tôt, de Jean-Denis Lejeune.

3. Le sport

Les dieux du stade. Le Pain et les Jeux. La saine émulation. Le dépassement de soi. Le collectif. Du bois de récit médiatique. Et politique, donc. Ce n’est pas nouveau, hein, Marc Wilmots? Cette année, Henri Depireux et Benoît Thans, à Liège, se disputeront, avec le fair-play qui sied à ces vedettes, les scrutins des nostalgiques du grand Football Club Liégeois et des autres. Quoique. Ils se présentent à des niveaux de pouvoir différents, et devront jouer avec le socialiste Raphaël Quaranta, plus expérimenté pour le coup. Le CDH, ici encore, se distingue, avec le hockeyeur très Béwé John-John Dohmen et le président du Wallonia Walhain des belles années, tous deux raflés par le ministre des Sports André Antoine, mais aussi avec le champion «polonais en Belgique» (sic) de Mixed Martial Arts, Karol Rancewicz, dit Predator. Et bien sûr l’arbitre Jérôme Efong Nzolo, pieux chrétien mais néanmoins préalablement dûment affilié au Parti socialiste. Un autre célèbre homme en noir, Amand Ancion, avait rejoint le tout nouveau CDH. Balle au centre démocrate humaniste, titraient alors nos confrères. Nostalgie.

4. Le spectacle

Notre société du spectacle a ses communiants et ses officiants, ses zélateurs et ses contempteurs. Trois de nos candidats sont photographes. Ils sont tous écolos. Le parti a toujours eu un souci de l’image. Sa liste bruxelloise accueille aussi un musicien qui a engagé son art dans de nombreux combats, Samir Bendimered, et une grande voix de la radio publique, Martine Cornil. Le MR, lui, s’est spécialisé depuis quelques années déjà dans les présentateurs-trices de télévision. Cette année, Olivier Maroy et Anne Quevrin viennent opportunément compléter le contingent des Frédérique Ries et des Florence Reuter. Quant au CDH, qui a perdu Anne Delvaux, il a Olivier Dumeunier, dit Mr Dum, du très couru –du moins dans la Botte du Hainaut- duo de DJ Dux & Mr Dum , ainsi que la jeune danseuse Maïté Buidin. Deux candidatures dans les règles de l’art.

5. La couleur de peau

Un mauvais journal insiste sur l’origine nationale, culturelle ou religieuse des personnalités qu’il évoque. Est-ce aussi le cas d’un parti peu scrupuleux? Le vote communautaire, c’est un fait pas divers, existe. Et sa surinterprétation également. Les patronymes à consonance extra-européenne sont nombreux dans notre corpus. Les «communautés» déjà fort sollicitées par les candidats classiques, devraient, pensent probablement les têtes pensantes, y trouver leur compte. Les Albanais avec Elona Zhana (Bruxelles, CDH), les Caribéens avec Ana Elvira Pascual, présidente de l’ASBL Ayacam et du Parti révolutionnaire dominicain en Belgique (Bruxelles, CDH), les Polonais avec «Predator» Rancewicz (Bruxelles, CDH), les Assyriens et Araméens avec Naher Arslan (Bruxelles, ECOLO), les Congolais avec Ngyess Nazalo (Bruxelles, ECOLO), les Iraniens avec Anwar Mir Sattari (Bruxelles, ECOLO), les Guinéens avec Elhadj Moussa Diallo (candidat CDH à Bruxelles par «la Grâce de Dieu, le Très Haut», écrit-il dans un communiqué sur le site «Aujourd’hui en Guinée», et on en passe. Ils s’ajoutent à un offre déjà très profuse, mais segmentée. Chacun chez soi, et les vaches du disséminateur de sperme Blanc-Bleu-Belge seront bien gardées.

Nicolas De Decker

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