jeudi 28 février 2013

Pour Caterpillar, les intérêts notionnels représentent une «prime» de 15.000 euros par travailleur licencié

(c) Belga

Ces cinq dernières années, Caterpillar Belgium S.A. et sa société-sœur Caterpillar Group Services S.A. ont déduit, ensemble, plus de 70 millions d’euros d’intérêts notionnels de leurs bénéfices imposables, évitant ainsi légalement de payer 23,9 millions d’euros d’impôts nets à l’Etat belge. Ce matin, la multinationale américaine spécialisée dans les engins de génie civil établie à Gosselies, au nord de Charleroi, annonçait qu'elle allait se séparer de près de 1.600 personnes: 1.100 ouvriers, 300 employés et cadres, et 190 contrats à durée déterminée.
Les esprits mal tournés auront vite fait le calcul: le cadeau fiscal des intérêts notionnels, mesure non conditionnée à l’emploi, correspond en quelque sorte à une «prime», offerte par le gouvernement à Caterpillar, de plus de 15.000 euros nets par travailleur licencié...
D.L.



Un arrondissement judiciaire bicéphale, à Mons et Charleroi : voilà le compromis que les ministres hennuyers vont défendre



(c) Belga

Les Carolos avaient craint d’être lésés au profit de Mons par le redécoupage de la carte judiciaire piloté par la ministre de la Justice Annemie Turtelboom. Un compromis hennuyer a été trouvé : comme toutes les autres provinces, le Hainaut ne comptera qu’un seul arrondissement judiciaire. Mais celui-ci aura deux sièges, à Charleroi et à Mons.

Ce vendredi, le conseil des ministres, en kern, discutera de la réforme des arrondissements judiciaires que compte boucler la ministre Turtelboom. L’idée de départ est claire : ne garder qu’un arrondissement par province, un à Bruxelles, et un pour la communauté germanophone, soit douze pour le pays. Dans le Hainaut, le plus gros arrondissement, celui de Charleroi, s’en trouverait lésé au profit de Mons, siège de la cour d’appel, chef-lieu de la province… et cité d’élection du Premier ministre.

Au Pays Noir, tous, avocats, magistrats debout et assis, et hommes politiques, s’étaient dressés pour s’opposer à la proposition, réécrite à plusieurs reprises. Il faut dire que l’arrondissement carolorégien est bien plus peuplé que ceux de Mons et Tournai, que son barreau est plus fourni,… et qu’il envoie bien plus de justiciables à la cour d’appel montoise.

Le MR, à l’invitation du ministre carolo Olivier Chastel, avait même réclamé que le siège unique de l’arrondissement hennuyer soit implanté dans la plus grande métropole wallonne. Les socialistes carolos, Magnette en tête, en avaient été pour le coup embarrassés : la revendication réformatrice (et carolorégienne), pour légitime qu’elle soit, était difficilement défendable devant le bourgmestre de Mons…

N’empêche, après des mois de discussions, les Hennuyers, premier ministre compris, se sont mis d’accord pour défendre un compromis : le Hainaut ne compterait plus qu’un seul arrondissement judiciaire, avec un seul président pour chaque tribunal (correctionnel, du travail et du commerce), mais, nuance importante, avec deux sièges.

Concrètement donc, le président aura deux bureaux, pour une seule adresse. Et le barreau de Charleroi restera affecté à son siège historique. Pour le justiciable, rien ne changera. Rien n’aurait changé, quand bien même les Carolos auraient perdu leur siège : les lieux d’audience resteront en place à Tournai, à Mons comme à Charleroi. Mais Charleroi valait bien un combat. Même symbolique. Il faut maintenant que la ministre ne se montre pas étanche aux spécificités hennuyères.

Nicolas De Decker

mercredi 27 février 2013

Amnésique, Willy Borsus ?

La semaine dernière, en séance plénière au parlement wallon, le chef de l'opposition, Willy Borsus (MR) a sorti les chiffres du coût du marché des certificats verts. Des chiffres alarmants puisque ce mécanisme des certificats verts délivrés comme incitants lors d'installation de panneaux voltaïques pourrait coûter au moins 2,5 milliards d'euros à la Wallonie. Beaucoup plus selon le réformateur qui a flingué comme il se doit le mécanisme instauré en 2009 par le ministre Ecolo de l’Énergie, Jean-Marc Nollet. Pourtant, le chef de file des libéraux wallons n'a pas toujours dit cela...

En effet, le 28 septembre 2011, lors de débats parlementaires déjà sur ce sujet électrique des certificats verts, Willy Borsus s'était opposé à l'époque à la proposition du ministre Nollet de diminuer le soutien des certificats verts pour l'installation de panneaux photovoltaïques résidentiels. Le chef de file des réformateurs demandait alors aux partenaires de la majorité de ne pas voter la réforme proposée par le ministre de l’Énergie, mais aussi et surtout il réclamait de ne plus modifier le dispositif de soutien aux certificats verts. « Pouvez-vous au moins, devant cette commission, dire : « Moi, c'est ma dernière modification concernant le photovoltaïque » ? Au moins pouvez-vous prendre cet engagement-là ? », lançait alors Willy Borsus au ministre Nollet.

En 2011 toujours, dans le journal Le Soir daté du 23 juillet, déjà au sujet d'une nouvelle réduction des primes accordées à l’installation de panneaux photovoltaïques, le patron des libéraux wallons s'en était ému : « Dès l’instant où quelque chose marche bien, la Région prend la décision d’en limiter le développement. Par ailleurs, ce nouveau changement du régime des primes met à mal la confiance que le public a dans le système. Or, dans ce domaine, la prévisibilité est essentielle. Désormais, nous n’avons aucune garantie que les choses resteront en l’état après 2012. La décision qui a été prise est en fait le contraire de ce qu’il faudrait faire pour cette énergie qui présente très peu de nuisances environnementales ». 

Amnésie du chef de l'opposition ou mauvaise foi de sa part, le réformateur wallon reste pourtant toujours aussi catégorique pour modifier au plus vite ce mécanisme de soutien des certificats verts et il continue de dénoncer la gestion « erratique » de Jean-Marc Nollet en la matière. « Quand j'ai dit au ministre Nollet qu'il ne fallait pas modifier le système, je lui ai dit qu'il ne fallait pas le modifier comme il le proposait à l'époque en anticipant l'octroi des certificats verts et en accélérant ainsi leur commercialisation. Je ne savais pas alors à quel point ce qu'allait voter le parlement amplifierait le phénomène auquel on est confronté aujourd'hui », explique Willy Borsus à Marianne.

Pour prouver qu'il gardait tout de sa tête, le chef des réformateurs wallons est allé lui-même dans sa boîte à archives pour ressortir le programme électoral des réformateurs en 2009 : à l'époque, le MR dénonçait déjà le coût des certificats verts et l’évolution exponentielle de ce coût s’il n’était pas évalué. Pas d'amnésie, donc. Dommage seulement qu'il ait fallu attendre quatre ans pour que l'opposition puisse évaluer le coût des certificats verts, estimés aujourd'hui à 2,5 milliards d'euros, qui vont peser finalement sur les finances régionales.

Pierre Jassogne

dimanche 24 février 2013

Les sept cailloux dans la chaussure de Van Cau



© Belga
Reconverti en peintre paysagiste carolo-provençal, l’ex-ministre-président wallon et ancien bourgmestre socialiste de Charleroi, Jean-Claude Van Cauwenberghe, est actuellement au centre de diverses procédures judiciaires. Demande de renvoi devant la Cour d’appel, à Liège. Poursuite d’autres enquêtes, à Charleroi. Pris en tenaille, Van Cau? L’homme crie à l’acharnement.

Mais quels sont donc les cinq dossiers judiciaires pour lesquels le procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, souhaite faire comparaître Jean-Claude Van Cauwenberghe devant la Cour d’appel de la Cité ardente? Le dossier «Immo Congo» et celui dit «du hall omnisport de Beaumont» ont été cités par La Libre Belgique. Le JT de la RTBF a, pour sa part, évoqué un troisième dossier lié à des pressions qu’aurait exercées l’ex-homme fort de Charleroi pour l’octroi d’un subside régional aux Chantiers navals de Thuin…

Sur la base de divers recoupements, Marianne Belgique peut aujourd’hui révéler la nature de ces cinq dossiers, qui en réalité sont au nombre de… sept. Cinq font donc l’objet d’une demande formelle de renvoi devant un tribunal, mais il faut avant ça que la commission des Poursuites du Parlement wallon donne son feu vert.

Mais deux autres dossiers seraient toujours à l’instruction à Charleroi. Il s’agirait du dossier «Sodexo» et de l’«affaire Wagner». Pourquoi n’ont-ils pas rejoint Liège comme les cinq autres? Les faits reprochés à JCVC auraient été essentiellement commis sous sa casquette de mandataire communal de Charleroi, et non de ministre. Il n’y aurait donc aucune raison de les transférer à Liège, où la Cour d’appel est seule compétente pour juger les ministres – actuels ou anciens. Une version que contesteraient les avocats de Van Cau.

Le point sur ces sept dossiers qui s’accumulent comme autant de cailloux dans la chaussure de l’ancien ministre-président wallon. Se mueront-ils en grains de sable ou en encombrants galets? Notez les conditionnels et les nombreux points d’interrogation, les enquêtes au long cours n’ayant pas livré leur verdict judiciaire et la présomption d’innocence étant de mise.


1. Dépenses douteuses en Chine
Le pitch. Van Cau aurait réalisé des dépenses douteuses lors d’un voyage officiel en Chine. Il s’agirait d’une mission économique réalisée en novembre 2004 en compagnie du Prince Philippe, du ministre fédéral de l’Economie Marc Verwilghen, de la ministre flamande de l’Economie Fientje Moerman, et du ministre-président de la Région bruxelloise Charles Picqué. Une mission hors normes de huit jours, forte de 500 personnes représentant quelque 200 entreprises et organismes belges. Elle est passée par Pékin, Shanghaï et Guangzhou.
La procédure. C’est le dossier «surprise», instruit dans la plus grande discrétion.


2. Fournitures de mobilier au gouvernement wallon
Le pitch. Le parquet soupçonne Jean-Pierre Paquet, ami et architecte de Van Cau, d’avoir surfacturé des fournitures de mobilier à l’Elysette, siège namurois du gouvernement wallon, à l’époque où JCVC présidait la Région. Ces surfacturations auraient été réalisées par la SPRL Arcade, société carolo d’aménagement et de décoration gérée par Paquet, qui fut par ailleurs un des fournisseurs de la ville de Charleroi à une certaine époque. Van Cau s’est exprimé par voie de presse sur ce dossier : il s’agit à ses yeux d’un «faux dossier» et il déplore un «acharnement» du parquet de Charleroi à son égard.
La procédure. Le dossier a été mis à l’instruction début juillet 2009 chez le conseiller Philippe Gorlé de la Cour d’appel de Liège, faisant office de magistrat instructeur.


3. Chantier de Thuin
Le pitch. Le magasin Optique Point de Mire de Thuin fait partie d’une chaîne de magasins de lunettes appartenant aux Mutualités socialistes de Charleroi. Jean-Claude Van Cauwenberghe était administrateur de la chaîne et président des Mutualités. On lui reprocherait d’avoir négocié des marchés à des conditions préférentielles en échange de petits cadeaux. Son ami entrepreneur Michel Vandezande aurait ainsi obtenu un chantier à Thuin contre de menus travaux réalisés gratuitement. Pour Van Cau, la justice se fourvoie, et toute cette affaire ne serait que du vent.
La procédure. A l’instar du dossier «fournitures de mobilier», l’instruction a démarré en juillet 2009 à Liège.


4. Hall omnisports de Beaumont
Le pitch. JCVC est suspecté d’avoir pesé de tout son poids politique pour l’attribution d’un contrat à son ami entrepreneur Michel Vandezande. Il s’agit de la fourniture clé sur porte d’un hall sportif sur le territoire de Beaumont, au sud de Charleroi. Vandezande est le patron d’une entreprise de construction souvent choisie par l’ex-majorité absolue socialiste au pouvoir dans la Métropole.
La procédure. Van Cau a été inculpé de corruption passive en avril 2010 par le magistrat instructeur Philippe Gorlé de la cour d’appel de Liège. Ses avocats ont toujours considéré que la perquisition menée à son domicile en juin 2008 était illégale. Pour l’anecdote, c’est lors de cette «visite» qu’une lettre avait été exhumée derrière un tiroir de sa table de nuit. Le roi de l’immobilier carolo Robert Wagner, un autre favori du pouvoir de l’époque, suggérait à son ami politique de… lui rembourser un voyage aux Maldives (voir l’affaire Wagner ci-dessous).


5. Immo Congo
Le pitch. En 2004, la représentation internationale de la Région wallonne et de la Communauté française avait besoin d’être logée dans un nouvel immeuble à Kinshasa. Un marché public avait été lancé afin de désigner une entreprise belge chargée de prospecter le marché immobilier local. Dans ce dossier, Van Cau serait suspecté de manœuvres ayant permis de désigner, en cours de route, un autre soumissionnaire figurant parmi ses amis, le réviseur d’entreprise Daniel Lebrun. Et cela à la place de celui initialement retenu.
La procédure. Ce dossier avait déclenché une information judiciaire au parquet de Charleroi, en octobre 2006. Il a été soumis aux fourches caudines d’une commission d’enquête parlementaire plutôt accommodante, fin 2006. Puis transmis à Liège en 2009, et mis formellement à l’instruction récemment, semble-t-il.


6. Repas scolaires Sodexo
Le pitch. En 2003, la firme Sodexo est chargée de fournir 740 repas quotidiens aux élèves de l’enseignement communal de Charleroi. Mais un bon tiers des écoliers préfèrent les tartines aux dîners Sodexo, ce qui ne permet pas à la firme de rentrer dans ses frais. Jean-Claude Van Cauwenberghe, qui était alors conseiller communal mais aussi ministre-président de la Région wallonne, a confirmé avoir rencontré « fortuitement » l’un des patrons de Sodexo aux Issambres (Côte d’Azur). Van Cau y possède une maison. Les deux hommes auraient partagé… un repas au restaurant. Selon l’enquête, un arrangement aurait été trouvé pour « compenser » le manque à gagner de Sodexo en permettant à l’entreprise de surfacturer les repas scolaires livrés.
La procédure. Van Cau a été inculpé pour corruption passive et escroquerie en octobre 2011. Il nie totalement les faits qui lui sont reprochés et parle d’acharnement de la justice carolo. En 2008, trois autres personnes ont été inculpées, dont l’ex-échevin de l’Enseignement, Jean-Pol Demacq, pour détournement par fonctionnaire public.


7. L’affaire Wagner
Le pitch. L’affaire concerne les liens intenses entre l’homme d’affaires Robert Wagner et son ami politique Jean-Claude Van Cauwenberghe. L’enquête judiciaire aurait retracé tous les épisodes d’une ascension en parallèle. L’un dans le business immobilier. L’autre en politique. De la construction d’un centre commercial sur un terrain industriel, obtenu à bas prix et via une procédure d’octroi de permis douteuse, à l’acquisition par Van Cau d’une maison vendue… à bas prix par la famille Wagner, à la côte d’Azur.
La procédure. Une instruction a été ouverte à l’été 2008 à Charleroi. Jean-Claude Van Cauwenberghe n’aurait pas été inculpé. Mais il s’agit d’un dossier «blanchiment», pour lequel la prescription est extensive.

David Leloup

jeudi 21 février 2013

Charleroi : le Parc d’attractions à 20 millions d’euros était un mirage



C’était annoncé à grands coups de clairons médiatiques: le Centre social de délassement de Marcinelle, dont la ville de Charleroi ne sait que faire, allait se transformer en parc d’attractions thématique sur la bande dessinée. Un an plus tard, la ville, appuyée par une contre-étude, enterre le projet. Coût présumé des funérailles: près de 180.000 euros.

Fin 2011, certains Carolos (pas tous, tant l’idée paraissait farfelue) se prenaient à rêver à un Walibi-sur-Sambre, où quelque 200.000 visiteurs viendraient chaque année s’oxygéner les neurones à Marcinelle, sous l’œil rieur du Marsupilami, des Schtroumpfs, de Spirou et de toutes ces sympathiques figures locales nées dans la même localité.

L’alors échevin de l’aménagement urbain de la ville de Charleroi, Eric Massin, présentait à la presse une étude menée par le Centre d’ingénierie touristique de Wallonie (CITW), financée par des fonds européens, et commandée, contre 84.000 bons euros, au bureau «Tourism and Leisure». Celle-ci affirmait l’opportunité de transformer le Centre social de délassement (CSD) de Marcinelle en Parc d’attractions. Investissement à consentir: 20 millions d’euros, dont le quart aurait été public, et le reste apporté par un opérateur privé encore à dénicher.

Un an après, une autre étude commandée par la Régie communale autonome (RCA) de Charleroi, propriétaire du site (dont Eric Massin était Administrateur-délégué jusqu’à février 2012), pour examiner la pertinence du projet, le démolit explicitement. «Dans le cadre de la présentation de notre état des lieux et de l’analyse de l’étude réalisée par Tourism and Leisure, il s’est avéré que le master plan de redéveloppement du site tel qu’imaginé dans cette étude n’était pas réalisable sur la base des contraintes juridiques, planologiques, techniques et financières relatives au Centre de délassement. Cet avis a été confirmé par Messieurs Magnette (NDLR : bourgmestre de Charleroi et président de la RCA) et Devillers (NDLR : chef de file réformateur au Collège et ancien administrateur-délégué)», écrivent les experts de chez Deloitte, Osborne et De Backer, associés sur le coup (pour lequel ils pourraient réclamer quelque 90.000 euros; à Charleroi, on espère que la facture sera moins élevée).

Bref, Charleroi applique avec abnégation les préceptes de l’économiste John Maynard Keynes. Celui-ci affirmait que l’argent public pouvait servir favorablement l’économie nationale, quand bien même il serait utilisé à salarier des chômeurs pour creuser des trous le matin et les reboucher l’après-midi. Sauf que dans la première métropole wallonne, on paie sur ses propres deniers des experts pour contredire ceux que l’on avait précédemment embauchés avec de l’argent européen.

Quant au site du CSD (une piscine en plein air, un domaine boisé de 150 hectares, des terrains de tennis, des salles de réunion, des restaurants, etc.), les abords de sa piscine et son bâtiment principal devraient, faute de repreneur privé, être rénovés sur fonds publics. Modestement, l’idée étant de garder des infrastructures fonctionnelles pour en rendre la privatisation plus aisée, et plus rentable.

Nicolas De Decker