vendredi 22 mars 2013

RTBF : la révolte des pigistes

(c) Cyrus Pâques
Ils ont entre 25 et 55 ans, sont journalistes, caméramans ou techniciens audiovisuels. Depuis des années, ils nous informent via les journaux et magazines de la RTBF. Aujourd'hui, dans une carte blanche publiée sur notre site, ils dénoncent leur «précarité organisée» au coeur même du service public. Leurs droits sociaux et la qualité de l'information sont en jeu, préviennent-ils. La direction de la RTBF pourra-t-elle encore ignorer longtemps les revendications de ces «forçats de l'info»? Voici l'appel des «pigistes à durée indéterminée» à la direction de la RTBF. 


«Dans une interview au sujet du contrat de gestion 2013-2017 (Journalistes n°144, janvier 2013), Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l'information à la RTBF, répondait par ces mots à la question de savoir si la RTBF faisait un appel croissant aux pigistes: «Ce n'est pas une volonté structurelle mais comme le cadre est très juste, dès qu'une personne est absente, on doit recourir à des pigistes...»

En tant que pigistes à la RTBF, nous souhaitons réagir à cette affirmation. Oui, la RTBF recourt à du personnel sous statut précaire: un recours d’ailleurs tellement fréquent et constant qu'il reflète bien, sans aucun doute, une volonté structurelle.


En décembre dernier, le site RTBF 89 publiait le témoignage anonyme d’un pigiste de la RTBF. Ce texte accuse la politique des ressources humaines du service public. Une politique qui causerait de «nombreuses souffrances» au sein du personnel et cantonnerait les journalistes «au statut de pigiste longue durée».


Cette lettre relate une réalité que chaque membre du collectif signataire du présent texte vit depuis souvent plusieurs années. Des contrats RTBF à la journée, soigneusement entrecoupés de contrats passés via une agence d'interim (ayant un bureau au sein-même de l'entreprise publique). Objectif: éviter que cette succession de petits contrats n'ouvre un quelconque droit à un contrat à durée indéterminée...

Le système est bien organisé, et pour cause: loin d'être de petits remplacements occasionnels, ces piges sont nombreuses et occupent souvent la plus grosse partie de l'emploi du temps de ceux qui les prestent.

Ce statut de «pigiste à durée indéterminée» comporte d'autres désavantages que le simple fait de ne pas offrir de stabilité d'emploi, de ne pas donner droit aux mêmes remboursements de frais que nos collègues engagés, ou d'être une porte ouverte à des retards intempestifs de paiements de primes et notes de frais. Il rend les pigistes vulnérables en ne leur permettant pas de s'exprimer librement, et en les mettant en concurrence les uns avec les autres. « Si tu n'es pas content, tu peux aller voir ailleurs.»

Ce statut crée aussi deux catégories de travailleurs: ceux qui ont droit à des jours de récupération et ceux qui n’y ont pas droit, et ce pour un même poste de travail. Diviser pour régner semble d'ailleurs être la seule politique des ressources humaines appliquée à l'ensemble du personnel de la RTBF, qu'il soit pigiste, contractuel, ou statutaire.

Nous ne savons pas combien nous sommes de pigistes au sein de la RTBF. Certains d'entre nous  travaillent depuis si longtemps sous ce statut qu’aucun de nos collègues ne s’imaginent que c’est sans un contrat digne de ce nom. La direction générale des Ressources humaines refuse la transparence et refuse de communiquer le cadastre des pigistes, notamment aux organisations syndicales. Les contrats «pigistes» à la RTBF, ce sont une trentaine de journalistes «info» mais aussi des dizaines et des dizaines de travailleurs précarisés dans l’ensemble des métiers: cameramen, preneurs de son, scriptes, cantinières, régisseurs, etc...

Le défaut ou l'absence d'un management humain ambitieux se marque aussi, comme l'exprimait la «bouteille à la mer» de notre confrère, au sein du personnel à durée indéterminée. De petites faveurs sont attribuées ici et là, et génèrent des rancœurs et frustrations. Le manque de transparence financière (notamment pour la réalisation de certaines émissions), le recours à l'externalisation (intéressée?) de certains postes ou l’arrivée massive d’experts en tous genres aux côtés d’une direction déjà bien fournie instaurent une ambiance délétère où programmes, productions, travailleurs, tout n'est que concurrence.

On n'arrive pas par hasard à la RTBF. C'est souvent un rêve, une certaine idée du métier, le souvenir de grandes figures de la télé, de grandes voix de la radio et d'émissions mythiques qui amènent à pousser la porte de «la maison»... C'est pour la plupart l'amour d'un métier et la conscience de l'importance des missions de service public. La volonté de participer, de contribuer à une information de qualité qui fait, notamment la fierté et la réputation de l’entreprise.

Que nous choisissions de partir un jour, ou de rester coûte que coûte, nous voulons en tout cas espérer que la direction et le Conseil d'administration de la RTBF pourront tenir compte du malaise dénoncé dans ces lignes. Cela pourrait passer par rendre public le cadastre des pigistes employés par la maison: «les petites mains». Ce geste aurait au moins déjà un mérite: celui d'offrir un peu de reconnaissance à ces travailleurs de l'ombre. Mais surtout, nous demandons la fin des manipulations et des jongleries en matière de législation sociale. L’engagement de pigistes de manière structurelle pendant de longues années n’est plus acceptable.

Espérons également que cet appel puisse être l'ébauche d'une nouvelle technique de management, plus responsable, plus durable.
»

Un collectif de pigistes (dés-)amoureux de la RTBF

Découvrez dès ce samedi 23 mars dans le nouveau numéro de Marianne notre dossier sur la révolte des pigistes à la RTBF, mais aussi dans d'autres médias. Un dossier réalisé par David Leloup en collaboration avec Pierre Jassogne.

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