vendredi 4 juillet 2014

Diables Rouges: cinq raisons d’être jaloux des Argentins

D.R.
L'Argentine a gagné deux Coupes du Monde, la Belgique, aucune. L'Argentine produit Maradona, Messi, et le meilleur bœuf du monde, la Belgique Ceulemans, Alderweireld et le poulet à la dioxine. Certes, certes, certes. Mais tant qu'à haïr, ce samedi, les Argentins, tâchons de le faire rationnellement.

Deux nations qui s'affrontent sur une pelouse, ce sont onze paires de jambes qui s'entrechoquent, mais aussi des millions de cerveaux reptiliens dont toutes les humeurs se débondent. Mais les onze Prix Nobel de la Belgique, à comparer avec les cinq de la maigre moisson argentine, nous contraignent à une certaine intelligence dans l'éructation. Or devant la Belgique se dressera samedi un pays plus vaste, plus peuplé (40 millions contre presque 11), à l'indépendance plus ancienne (1816 contre 1830), aux paysages moins étriqués, à la nature moins replète, et aux mythes nationaux moins vermoulus (Che Guevara contre Charlier-Jambe de Bois, vous voulez rire?).

Bref, cette Argentine est un pays autrement plus bandant que le nôtre. Ca ne veut pas dire que la perspective de fesser les siens et Léo Messi sous les yeux du monde doit bousculer l'éthique des Diables Rouges. Qu'ils rassurent leur conscience: même si une victoire de la Belgique sur l'Argentine heurterait l'entendement humain, leurs prédécesseurs l'ont fait à la Coupe du Monde 1982 et n'ont souffert d'aucun remord à aucun moment, ni du moindre transcendant foudroiement. Qu'ils sachent néanmoins que nous savons, que vous savez aussi, et que désormais les Argentins savent. Ils sont mieux que nous. Maudissons-les avec raison.

1. Leur rapport à Mammon

Belgique et Argentine sont certes des pays plutôt marginaux dans le concert économique mondial, au rayonnement et à la puissance limités, mais elles présentent en ce domaine certaines similitudes. Les deux Etats, plutôt prospères dès le dix-neuvième siècle, ont toujours émargé au monde capitaliste dit avancé. Même si l'Argentine n'est pas la Suisse de l'Amérique latine - c'est l'Uruguay -, et même si la Belgique n'est pas la Suisse de l'Europe - c'est la Suisse -, les secteurs financiers des deux pays ont connu d'importants développements qui ont nourri et enrichi de nombreux rentiers. Comme ailleurs, les centres opérationnels de banques jadis locales ont émigré. Mais à Buenos Aires et à Bruxelles plus qu'ailleurs les dirigeants contemporains ont eu à gérer les turpitudes du règne de l'argent et à subir le pouvoir des banquiers. Sauf que les Argentins l'ont fait avec plus de panache et probablement avec plus d'efficacité. Au début du millénaire en effet, soumis à une crise financière, puis économique, aussi profonde que localisée, le gouvernement sud-américain choisit de faire défaut sur sa dette. La décision rompt avec plusieurs décennies de roide orthodoxie libérale, mécontente les hautes sphères économiques, mais s'impose en contre-modèle social à l'échelle mondiale. Aujourd'hui l'Argentine s'est, disent les experts, relevée. Et qu'importe, en fait. Le révolutionnaire le plus inutile sera toujours plus séduisant que l'actuaire le plus efficace. Autre chose, sans rire, que Didier Reynders, Yves Leterme, Lippens et Dehaene accourus fébrilement pour renflouer des institutions aussi cupides qu'ingrates, non?

2. Leur rapport à la protéine

Des confins andins à la Terre de Feu et alentours, l'asado, une grillade de bonne viande entre bons amis mais sans Devos ni Lemmens, est une tradition nationale. La ferme de la famille Wilmots exceptée, la Belgique n'est pas réputée au-delà de ses frontières pour sa production de bovins charnus. Quoi, et le Blanc-Bleu-Belge, alors ? Le Blanc-Bleu-Belge, ce n'est pas une vache à lait, n'en déplaise aux marketteurs agricoles. La Wallonie, en 2013, a exporté pour 1 milliard et demi de produits de son élevage partout dans le monde, mais n'en a pas vendu pour un seul euro en Argentine. Celle-ci, en revanche, envoie chaque année en Belgique 7000 tonnes de viande de cheval, et 15% de ses exportations belges étaient en 2013 des animaux vivants, surtout des bovins. Les Argentins vendent donc plus de bœuf que nous. Et alors? L'argent n'a pas d'odeur, non ? Si, et a arrange bien le bœuf belge, qui n'a pas de goût, contrairement à l'argentin, dont toute la planète se repaît. Quoi, et Marc Wilmots, alors? On lui demande d'être le bon entraîneur d'athlètes élevés en prairie, pas un arbitre du bon goût. Même bovin.

3. Leur rapport au cosmétique

Un peu suisse en matière financière, l'Argentine est réputée très italienne quant son l'élégance. Elle a, comme la Belgique mais plus tôt qu'elle -dès la fin du dix-neuvième siècle- accueilli de nombreux migrants transalpins, et ses habitants sont les dépositaires presque exclusifs sur le continent américain de la ténébreuse classe latine. Alors, oui, notre premier ministre est un homme dont l'élégance compassée doit beaucoup à ses origines latines, mais on ne peut généraliser son flamboyant exemple : dans un fort terne monde politique belge, Elio Di Rupo est l'exception plutôt que la règle. La présidente argentine Cristina Kirchner, elle, est beaucoup plus élégamment maquillée que lui. Et plus spontanée.

4. Leur rapport au nazisme

La Belgique n'a pas encore réglé ses comptes avec l'histoire. L'Argentine non plus, mais elle en aura au moins généreusement profité. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les hitlériens flamands et wallons se terraient, ou posaient piteusement aux Résistants de la vingt-cinquième heure, l'Argentine inventait l'outplacement politique transatlantique en accueillant des palanquées de dignitaires nazis, et en les affectant à des tâches où leur zèle avait fait merveille, notamment dans les secteurs de la police et de la Justice. Cette immigration choisie aida beaucoup les dictateurs galonnés qui, des décennies durant, mirent l'Argentine au pas et les Argentins à genoux.

5. Leur rapport au rond-de-jambe

Prenez un gille de Binche et un rioplatense gominé. Faites-leur danser un tango fût-il fruste. Regardez-les deux secondes. Même plus besoin de comparer un poème de Stéphane Pauwels avec un talk-show de Jorge Luis Borges sur une chaîne privée : il n'y a rien à faire, ils sont mieux que nous.
Il faut qu'on le leur fasse payer.
Allez les Diables, donc!

Nicolas De Decker

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