vendredi 26 septembre 2014

L’Institut du prix Nobel Christian de Duve financé pendant 10 ans par l’industrie du tabac

Le prix Nobel belge Christian de Duve (ici en 1995) a accepté que l'industrie du tabac sponsorise son institut de recherche pendant dix ans. (c) Belga
Le prestigieux Institut de Duve de l’UCL, fondé et dirigé par feu le prix Nobel de physiologie Christian de Duve, a été sponsorisé pendant dix ans par le lobby belge du tabac. Au même moment, Christian de Duve était expert anti-cancer pour la Commission européenne. Et donc en conflit d’intérêts.

Entre 1983 et 1992, la Fédération belgo-luxembourgeoise des industries du tabac (Fedetab) a versé plus de 1,2 million de francs belges à l’Institut scientifique créé par le prix Nobel de physiologie Christian de Duve. «Il s’agissait de versements annuels d’un montant de 100.000 francs belges les premières années, et qui a atteint 150.000 francs en bout de course», détaille Emile Vanschaftingen, l’actuel directeur de l’Institut de Duve, confirmant ainsi un document de 1983 exhumé par M... Belgique des archives du tabac. Il précise qu’il s’agissait de dons sans contrepartie: «La nature de la recherche réalisée à l’Institut n’a pas été affectée par ce sponsoring.»

«Aujourd’hui on refuserait»

On ignore qui de la Fedetab ou de Christian de Duve a approché l’autre, de même que les raisons pour lesquelles ce sponsoring s’est achevé fin 1992. Emile Vanschaftingen concède que c’était «un joli coup de l’industrie du tabac d’associer ainsi son image à celle d’un prix Nobel». Une façon habile de récupérer son prestige et sa notoriété. «Aujourd’hui, on refuserait un tel sponsoring pour éviter tout amalgame, poursuit-il. Avec le recul et tout ce qu’on a depuis appris sur cette industrie, on ne pourrait plus penser qu’un tel financement est réalisé de bonne foi, sans intéressement.»

En avril 1986, Christian de Duve a été nommé , par la Commission européenne, au sein d’un groupe de douze experts chargés de la conseiller sur la lutte contre le cancer. «Bien que d’autres formes et causes de cancer sont mentionnées, le tabac est la priorité absolue», indique une note interne du 2 juin 1986 de la British American Tobacco consacrée à cette initiative européenne anti-cancer. Le sponsoring de la Fedetab, qui a donc encore duré six ans après la nomination de Christian de Duve au sein de ce groupe d’experts, ne plaçait-il pas de facto le prix Nobel en situation de conflit d’intérêts?

Liberté académique

Selon les données détenues par l’administration de la recherche de l’UCL, il n’y aurait actuellement plus d’études scientifiques financées par l’industrie du tabac. Mais le conditionnel est de mise: «Les professeurs bénéficiant de la liberté académique, toutes les informations liées à leurs recherches ne transitent pas nécessairement par l’administration », précise Isabelle Decoster, porte-parole de l’UCL.

A l’université de Liège, ce serait «impossible aujourd'hui», selon le porte-parole de l’Ulg Didier Moreau, qui explique que depuis «une petite dizaine d'années, tous les contrats de sponsoring de la recherche passent par le rectorat pour signature, via un logiciel de gestion centralisateur développé par la firme allemande SAP».

David Leloup


Ce vendredi, M... Belgique publie une longue enquête soutenue par le Fonds pour le journalisme sur les scientifiques belges financés par l’industrie du tabac. Les documents internes des cigarettiers révèlent comment ils ont financé, durant le dernier quart du 20e siècle, des scientifiques belges pour nier ou minimiser l’impact de la cigarette et du tabagisme passif sur la santé, mais aussi pour infiltrer les sphères scientifique et gouvernementale du Royaume, réaliser de la veille législative «vitale» pour son succès financier, ou encore gagner de la respectabilité en associant son image à celle de scientifiques prestigieux. Et tout cela dans le plus grand secret.

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